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Interview sur le projet de réforme de la fiscalité locale publiée dans le quotidien MUTATIONS N°6201 du 21 novembre 2024

Fiscalité locale

Décryptage d’une réforme en gestation

Un projet de loi sur la réforme de la fiscalité locale a été déposé au Parlement par le gouvernement, le 13 novembre dernier. Qu’est ce qui change globalement par rapport à la précédente loi sur la fiscalité locale, celle du 15 décembre 2009 ?

Beaucoup de choses vont changer, en commençant par l’administration des impôts locaux.  Avant cette réforme, la mobilisation des recettes desdits impôts était assurée par les services déconcentrés de la DGI pour certains et par des services fiscaux des Communes pour d’autres, en l’absence de cohésion et parfois dans une cacophonie non favorable à la productivité des impôts locaux et au climat des affaires. Désormais l’assiette, le recouvrement desdits impôts seront exclusivement assurés par les services déconcentrés de la DGI, notamment par les Centres des Impôts Locaux et des Particuliers en création, avec à la clef l’arrimage aux processus de dématérialisation et de suppression des paiements en espèce.

Le contenu de la fiscalité locale a également évolué avec :

-l’élargissement de l’assiette des CAC qui s’appliqueront toujours au taux de 10% sur la TVA, l’IS, l’IRPP, mais aussi au taux de 5% sur la taxe spéciale sur le revenu, les droits d’accises et les droits d’enregistrement sur la commande publique ;

-l’élargissement de l’assiette de la contribution des licences avec les activités de fabrication ou de vente des armes à feu, des munitions et des explosifs, ainsi que l’exercice des activités des jeux de hasard ;

-la suppression de 08 taxes de nuisance et/ou à faible rendement tels que la « taxe sur les armes à feu », la « taxe d’hygiène et de salubrité », le « droit d’occupation temporaire de la voie publique », la « taxe sur les spectacles », les « droits de stade », la « taxe de stationnement », la « taxe communale sur le bétail », les « taxes et/ou redevances aérospatiales » ;

-la refonte 07 prélèvements à faible rendement dans deux nouvelles taxes avec : le « droit d’occupation des parkings, des parcs de stationnement et des quais » né de la fusion du « droit d’occupation des parcs de stationnement », du « droit d’occupation des parkings » et du « ticket de quai »; le « droit d’accises communal sur les activités polluantes » né des cendres du « droit de transit et de transhumance du bétail en provenance d’un Etat limitrophe », de la « taxe sur le transport des produits de carrières », de la « taxe sur les produits de récupération » et de la « redevance pour dégradation de la chaussée » ;

-le « droit de place sur les marchés » rebaptisé « loyer d’espaces aménagés des marchés » ;

-le « droit de timbre communal » rebaptisé « droit de timbre local » et étendu aux Régions ;

-la création de l’ « impôt général synthétique » qui est né des cendres de l’ « impôt libératoire » et qui récupère au passage les contribuables qui relevaient du régime simplifié d’imposition ;

-la modulation annoncée du tarif de la « taxe sur la propriété foncière » par zone ;

-l’intégration du « droit d’accises spécial destiné au financement de l’enlèvement et du traitement des ordures » institué par la loi de finances 2019 dans le corpus de la fiscalité locale.

L’objectif visé est le renforcement du rendement des impôts locaux à travers une meilleure articulation entre les fiscalités locales et centrale, la réduction du nombre de prélèvements, l’élargissement de l’assiette des impôts locaux. Trois bémols peuvent cependant être relevés en plus quelques petites incohérences qui peuvent encore être rattrapées. Cette loi prévoit que toutes les recettes fiscales affectées aux communes comme celles affectées aux Régions peuvent faire l’objet d’un plafonnement en tant que de besoin. On note également une réduction drastique des prélèvements dont le produit revient aux Régions, ce qui signifie que la plus grosse partie de leurs ressources fiscales proviendra des quotités de certains prélèvements relevant de la fiscalité centrale qui restent en plus à fixer par voie réglementaire. Ce projet souffre aussi d’un problème d’affichage de certains impôts présentés comme locaux mais dont les recettes revenant aux CTD ne correspondent qu’à une portion parfois congrue. C’est le cas de la taxe de séjour dont 20% seulement des recettes profitent aux communes.

C’est un projet techniquement mieux ficelé que la loi de 2009, et ambitieux pour les communes même s’il ne l’est pas autant pour les Régions la raison ci-dessus évoquée. Il mérite d’être apprécié à sa juste valeur au regard des avancées observées.

Quel problème vient résoudre, par exemple, la suppression des impôts et taxes en faveur de l’institution de l’Impôt général synthétique (IGS) pour les micros et petites entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions Fcfa ?

L’Impôt Général Synthétique est principalement né des cendres de l’impôt libératoire. Cependant, il a l’avantage de couvrir une population de contribuables plus larges, notamment tous les contribuables exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou agropastorale ne relevant pas du régime du réel, et réalisant un chiffre d’affaires annuel hors taxes inférieur à cinquante millions (50 000 000) de francs CFA, et de s’appliquer selon un tarif progressif sur 10 classes. La suppression et la refonte des autres impôts et taxes de nuisance et/ou à faible rendement participe au processus de simplification du système fiscal camerounais qui profite aussi bien aux micros et petites entreprises qu’à tous les autres contribuables voire à l’Administration Fiscale elle-même.

L’affectation de l’intégralité du produit du droit de timbre de la carte grise et d’une quote-part du produit de la taxe spéciale sur les produits pétroliers (TSPP) destinés à l’entretien routier, est-elle suffisante pour l’autonomie financière des régions ?

Les Régions bénéficiaient déjà du produit du timbre sur la carte grise et de la Redevance d’usage de la route prévue par la Loi n°2022/007 du 27 avril 2022 portant protection du patrimoine routier national et qui est prélevée sur la TSPP. Donc rien de nouveau sous le soleil.

Que peut-on attendre de la transformation des Centres divisionnaires des impôts (CDI) en Centres de fiscalité locales et des particuliers (CFLP) ?

 

De la cohésion dans l’administration des impôts et taxes en général et des impôts locaux en particulier et beaucoup plus d’efficacité dans la mobilisation des recettes de ces derniers. Ces centres qui disposent des ressources humaines, matérielles, technologiques et d’une expérience certaine seront mieux outillés que les services fiscaux embryonnaires des Communes.

L’application des Centimes additionnels communaux (CAC) à certains impôts et taxes tels que l’IRPP, l’IS la TVA, les Droits d’accises, pourrait-elle entraîner l’élargissement de l’assiette fiscale ?

Jusque-là, les centimes additionnels communaux n’étaient dus que sur la TVA, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu des personnes physiques et représentaient 80% des recettes fiscales des communes. Le projet de loi portant fiscalité locale en examen les a étendus sur les droits d’accises, la taxe spéciale sur le revenu et sur les droits d’enregistrement sur la commande publique mais à un taux moyen de 5%. C’est donc l’assiette des CAC qui est élargie et non l’assiette fiscale entière, mais avec en perspective une augmentation assurée de leur rendement.

La loi portant Code général des Collectivités territoriales décentralisées (CTD) du 24 décembre 2019 prévoit une fraction annuelle de 15% du budget de l’État aux CTD.  La nouvelle loi fera-t-elle taire les revendications des CTD quant au respect de ce quota et de l’équité dans sa répartition ?

L’application des 15% n’était pas jusqu’ici effective parce que le Code général des Collectivités territoriales décentralisées avait omis de préciser la base sur laquelle ce taux devait s’appliquer. Le projet de loi en examen a l’avantage de préciser que ce taux s’appliquera sur les recettes budgétaires base caisse de l’Etat nettes des remboursements des crédits de TVA. A mon avis, les choses ne sont pas encore suffisamment claires au regard du nombre important des impôts et taxes dont le produit sera réparti entre l’Etat et les CTD dans des proportions encore inconnues. A titre d’illustration, l’article C 71 prévoit que le produit de la redevance forestière est réparti entre l’Etat (50%) et les Communes (50%). Est-ce à dire que ce taux s’appliquera également sur les 50% de ce prélèvement qui reviennent à l’Etat ?

Par Michel Ferdinand