« Les pensions retraite versées par la CNPS constituent une niche fiscale explorable »

 Interview publié dans Le Financier d’Afrique n°1158 du 14 septembre 2023

 

WhatsApp Image 2023-08-07 at 10.50.54Quels en sont les enjeux de la fiscalisation des pensions retraite ?

Les enjeux de la fiscalisations des pensions retraite payées par la CNPS sont de deux ordres au moins. Le premier enjeu est celui de l’élargissement de l’assiette fiscale prescrite une fois de plus par le Président de la République dans la Circulaire n°001 du 30 août 2023 relative à la préparation du budget 2024. Les pensions retraite versées par la CNPS constituent une niche fiscale explorable dans le cadre de la recherche de l’optimisation des recettes internes non pétrolières prescrite dans cette circulaire. Le second enjeu est relatif à la justice et l’équité fiscales. Les pensions des fonctionnaires et autres agents publics servies par l’Etat subissent la retenue à la source de l’IRPP conformément à la loi. Par ailleurs, certains salariés en activité sont imposés à l’IRPP sur des salaires bien moins élevés que les pensions de certains retraités.  Il en résulte une injustice fiscale qu’il convient de réparer en taxant également les pensions retraite payées par la CNPS conformément aux dispositions du Code Général des Impôts.

Qui doit effectuer le prélèvement au cas où la mesure venait à être effective? Est-ce la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) ou la Direction générale des Impôts (DGI)?

L’article 30 du Code Général des Impôts soumet les pensions retraite à l’IRPP dans la catégorie des traitements et salaires. Ce qui signifie que l’impôt sur ces pensions doit être prélevé dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que celui sur les salaires qui est retenu à la source par l’employeur débiteur et reversé auprès du centre des impôts de rattachement conformément aux articles 81 à 84 du Code Général des Impôts. L’article 30 suscité précise que les pensions et rentes viagères sont réputées perçues au Cameroun lorsque le débiteur y est établi. La CNPS débiteur payeur sera tenu d’opérer la retenue de l’IRPP sur les pensions retraite et de le reverser au Centre Spécialisé des Etablissements Publics, des Collectivités Territoriales Décentralisées et Autres Organismes de Yaoundé.

Comprenez-vous les inquiétudes actuelles?

Les inquiétudes actuelles sont compréhensibles pour trois raisons : d’abord parce que dans l’entendement du retraité à revenu modeste et du camerounais lambda, il s’agit d’un nouvel impôt qui va frapper toutes les pensions quels que soient leurs montants, ce qui n’est pas le cas ; ensuite humainement, comme tous les citoyens, les retraités rechignent à payer au regard de l’impact sur leur pouvoir d’achat en cette période de vaches maigres ; enfin, la population redoute les conséquences sociales au regard de la menace brandie par les confédérations syndicales et associations des retraités et du contexte sociopolitique ambiant.

Taxer les vieillards est-il plus rentable qu’explorer les autres pistes d’élargissement de l’assiette fiscale en s’attaquant au secteur informel par exemple?

Même dans ce secteur informel objet de toutes les représentations imaginaires,  on trouve aussi bien des retraités que des diplômés sans emploi et d’autres catégories de personnes vulnérables. Et c’est le même type d’argument qui est brandi chaque fois que l’Administration essaye de fiscaliser les acteurs dudit secteur. Dans la recherche de mobilisation optimale des ressources internes non pétrolières instruite par le Président de la République dans la Circulaire sus citée,  chaque franc compte. Il est question d’explorer toutes les niches fiscales et de faire à ce que chacun paye l’impôt en fonction de sa capacité contributive et de tendre vers une justice et une équité fiscale. Le secteur informel sera forcément également au menu. Ce n’est pas pour cette raison que le Gouvernement va laisser les autres niches fiscales prospérer.

Alain Symphorien NDZANA BILOA

Fiscaliste

« Cette situation doit amener l’administration fiscale à renforcer ses textes »

Interview sur l’imposition des pensions retraite publiée dans le quotidien Cameroon Tribune n°12934/9133 du 12 septembre 2023

 

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Le Directeur général de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale a échangé en fin de semaine dernière avec les responsables des confédérations syndicales et associations des retraités sur la fiscalisation des pensions retraite. A quoi renvoie concrètement cette imposition ?

La pension retraite est une allocation versée à une personne qui exercé une activité salariale et qui a pris sa retraite après avoir cotisé pour ladite pension pendant au moins 15 ans. Son montant dépend du nombre d’années de cotisation et du secteur d’activité. Elle est due en application de la législation sur la prévoyance sociale qui a prévu un mécanisme d’assurance retraite obligatoire afin de permettre aux salariés retraités ou à certains de leurs ayants droit de disposer d’un revenu minimum jusqu’à la fin de leurs jours. Ce mécanisme d’assurance retraire obligatoire est alimenté par les cotisations sociales supportées par les employeurs pour la part patronale et les employés eux-mêmes pour la part salariale. A ce titre, la pension est imposable à l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques dans la même catégorie que les traitements et salaires en application des articles 30 à 32 du Code Général des Impôts.

L’imposition des pensions et rentes viagères est contenue dans la loi depuis 1973 sans jamais avoir été appliquée jusqu’ici. Pourquoi seulement maintenant ?

Il y a un vide juridique dans lequel la CNPS s’est engouffrée. En effet, l’article 81 du CGI qui définit les modalités de perception de l’IRPP sur les salaires et les pensions précise clairement pour ce qui est des salaires que cet impôt est retenu à la source par l’employeur lors du paiement de ce salaire mais ne donne aucune précision sur la modalité de perception de l’IRPP sur les pensions. Je crois que c’est la raison pour laquelle la CNPS n’opère pas de retenues de l’IRPP sur les pensions retraites servies. Cette situation doit amener l’administration fiscale à renforcer cette disposition. Elle aurait dû le faire sans chercher à rappeler les droits sur les périodes antérieures. Pourra-t-elle encore le faire après le retentissement de cet incident ? Ce réajustement est pourtant impératif pour rétablir la justice et l’équité entre les retraités du secteur privé et ceux du secteur public dont les pensions retraites subissent effectivement la retenue de l’IRPP.

Cette mesure est perçue par certains comme étant une double imposition. Qu’en est-il exactement ?

Dans le cas d’espèce, il n’y a pas de double imposition possible dans la mesure où la part de la cotisation retraite supportée par l’employeur comme celle retenue sur le salaire sont exclus de la base d’imposition du salaire mensuel. L’IRPP sur le salaire n’est dû que sur les montants effectivement mis à la disposition du salarié contribuable. Or, dans le cas d’espèce, il s’agit des éléments de rémunération dont la mise à la disposition du bénéficiaire est différée jusqu’à son départ à la retraite. La conséquence fiscale est que leur imposition est reportée à la date de versement effectif de la pension au retraité.

Comment cela va-t-il se passer précisément et à combien s’élève cette taxe à prélever sur les pensions des retraités ?

Ça ne sera possible que si le Gouvernement décide de modifier l’article 81 du CGI. Dans ce cas, la CNPS retiendra l’IRPP sur les pensions retraite en appliquant le barème de l’article 69 alinéa 1 du CGI. L’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques est calculé par application du barème ci-après sur le revenu net annuel des traitements, salaires, pensions, rentes viagères : de 744 000 à 2 000 000, 10 % ; de 2 000 001 à 3 000 000, 15 % ; de 3 000 001 à 5 000 000, 25 % ; Plus de 5 000 000, 35 %. L’impôt dû par mois est déterminé grâce l’algorithme de calcul de l’IRPP sur salaires.

Qui sont ceux qui sont les pensionnés concernés par cette disposition du Code général des impôts ?

Seuls les retraités bénéficiaires des pensions retraite mensuelles d’un montant supérieur ou égal à 62 000 fcfa seront concernés conformément à l’article 81 du Code Général des Impôts.